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Marché noir : l’euro s’envole face au dinar, mais est-ce durable ?

Des billets en euro Par mtrommer / Adobe Stock

Alors que les frontières sont toujours fermées et que les rapatriements se font au compte-goutte, le marché informel de la devise frémit. Depuis quelques jours, la monnaie unique européenne enregistre une hausse régulière face au dinar.

La rumeur de l’ouverture imminente des frontières, les premières campagnes de vaccination dans certains pays d’Europe et la dépréciation persistante du dinar représentent autant d’arguments qui poussent les cambistes informels à imposer leurs prix.

En ce dimanche 20 décembre, dernier jour d’automne, un euro valait 209 dinars à l’achat et entre 211 et 212 à la vente, au Square Port-Saïd et au marché Réda Houhou (Ex-Clauzel), deux grandes places boursières parallèles, où nous nous sommes rendus.

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La loi de l’offre et de la demande

Pas besoin de les chercher longtemps pour les trouver. Il suffit de remonter les arcades du palais de la justice, rue Abane Ramdane, en direction du Square Port-Saïd, pour les apercevoir en grand nombre.

Signe distinctif : une liasse de billets entre les mains pour certains, rien pour d’autres, si ce n’est une petite phrase lancée à votre passage « N’bi3ou l’euro wel dollar » (nous vendons l’euro et le dollar), comme pour vous encourager à vous arrêter.

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Nous faisons escale chez l’un de ces cambistes.  Il nous annonce les prix du jour : 212 dinars algériens pour un euro et 176 dinars pour un dollar. Tahar, la quarantaine, tente d’éclairer notre lanterne quant à la flambée soudaine de l’euro alors que les avions sont cloués au sol depuis plus de neuf mois.

« Il y a deux raisons à cela », croit-il savoir. « La reprise des vols domestiques augure de l’ouverture des frontières, à court terme. Sur Facebook, la nouvelle de la reprise des vols annoncée pour le 27 décembre, a propulsé l’euro et le dollar vers l’avant. L’annonce du début de la vaccination anti-covid un peu partout dans le monde a également redonné l’espoir d’une reprise potentielle des vols. Par ailleurs, la crise économique et la dépréciation du dinar ont poussé les Algériens à convertir leurs économies en devises ».

Un marché déséquilibré par l’absence des émigrés

Le cambiste poursuit son analyse : « Depuis la fermeture des frontières, la loi de l’offre et de la demande de la devise a connu un sérieux déséquilibre sur le marché parallèle. D’habitude, les émigrés inondent le marché noir de cette monnaie mais comme ils n’ont pas pu rentrer au pays depuis 9 mois, la source s’est asséchée. Plus d’émigrés, moins d’euros ! Les cambistes achètent aussi bien l’euro que le dollar car ils savent qu’ils vont faire des bénéfices importants dès que les vols à l’international reprendront. On prédit même que l’euro s’échangera à 230 dinars pièce, d’ici quelques semaines ! »

Dinars, euros, dollars, de nombreux cambistes exhibent des liasses de billets qu’ils font claquer entre les doigts. L’un d’entre eux nous accoste et nous remet son numéro de téléphone portable. « N’hésitez-pas à m’appeler si vous avez besoin de faire le change. J’ai toutes les monnaies et ce ne sont pas de faux billets. Pour vous rassurer, on pourra aller au café Tantonville, où vous pourrez compter votre argent tranquillement », assure-t-il.

Ruche de cambistes, rue de la Liberté

Rue de La Liberté, derrière la rue Abane Ramdane. Nous sommes surpris de tomber sur une ruche de cambistes. Ils sont une quarantaine environ à graviter dans ce périmètre occupant chaussées et trottoirs, au vu et au su de policiers en faction.

Abdennour travaille 6 jours sur 7. « J’ai une nombreuse clientèle qui me contacte par téléphone », nous dit-il. « C’est mon gagne-pain et je reviens de loin, car durant le confinement je n’ai pas pu travailler ».

« Heureusement que les affaires reprennent. Les autorités ferment les yeux et nous laissent tranquilles. De toute façon, tous les gens qui voyagent ont besoin de faire le change, y compris les commis de l’Etat. Ce n’est pas avec les moins de 100 euros par an octroyés par la banque qu’ils peuvent séjourner à l’étranger ! En l’absence de bureaux de change officiels, nous occupons le terrain. C’est mieux que d’aller voler, non ? », conclut-il.

L’euro prend du galon, mais est-ce durable ?

Nous changeons de quartier. Rue Réda Houhou (ex-Clauzel), les boutiques d’habillement et de cosmétique, situées à proximité du marché font office d’agence de change parallèle. De nombreux clients y ont leurs habitudes, préfèrent s’adresser à des vendeurs qu’ils ont appris à connaître au fil des années, plutôt que de traiter avec des inconnus qui peuvent leur refiler des faux billets et disparaître dans la nature.

Zaina, 45 ans, est venue acheter 300 euros. « Mon fils fait des études à Paris. Je profite du rapatriement d’un parent sur le vol Alger-Paris d’Air France, le 3 janvier prochain pour lui faire parvenir cette somme. C’est un énorme sacrifice pour moi, d’autant plus que la devise ne cesse de flamber », ajoute-t-elle.

Aux alentours de ce marché, certains kiosques à journaux achètent et vendent de la devise. Interrogé sur la flambée de l’euro sur le marché informel, l’un d’entre eux nous livre ses impressions.

« A cause de la chute vertigineuse du dinar et de la rareté de la devise due à la fermeture des frontières, l’euro a pris du galon. Certains prédisent qu’il pourrait s’échanger jusqu’à 250 dinars, mais moi j’ai une autre théorie. Dès l’ouverture des frontières, synonyme de retour des émigrés, le marché sera inondé de devises. Nos chers compatriotes rentreront les valises pleines et le cours de l’euro repartira à la baisse. Je n’invente rien, c’est la loi de l’offre et de la demande ! »

En l’absence d’informations officielles sur la réouverture des frontières et la reprise des vols réguliers à l’international, les spéculations vont bon train. Le dinar continue à perdre de sa valeur face à l’euro et au dollar. Mais, en attendant l’envol des avions, la devise, quant à elle, continue tranquillement son escalade face au pauvre dinar poussé malgré lui au régime maigreur.