Depuis plus d’un an, la pâte à tartiner algérienne El Mordjene fait le buzz et agite la France.
Surnommée le « Nutella algérien », la crème de noisettes produite par l’entreprise CEBON s’est imposée sur les réseaux sociaux et dans les rayons. Son succès a cependant été freiné par une interdiction européenne : officiellement, il est question de restrictions sanitaires européennes.
Dans une analyse fouillée publiée ce 19 août, le média The New Arab revient sur les raisons de cette interdiction et sur la portée culturelle d’une success-story algérienne en France.
TikTok, Paris, Marseille… L’ascension fulgurante d’El Mordjene
C’est sur les réseaux sociaux que tout a commencé, à la mi-2024, lorsqu’une brochette d’influenceurs ont découvert et adoré la crème à la noisette El Mordjene.
La pâte à tartiner, populaire en Algérie et élue « Produit de l’année » en 2023 et 2022, connaît alors une incroyable visibilité de l’autre côté de la Méditerranée.
La diaspora algérienne multiplie les vidéos et les dégustations en ligne, le phénomène devient viral, El Mordjene est comparée avec le Kinder Bueno, et la demande explose… Mais le succès est rapidement freiné.
Interdite en France
En septembre 2024, la France interdit officiellement la commercialisation d’El Mordjene, au motif que l’Algérie ne fait pas partie des pays autorisés à exporter des produits laitiers vers l’Union européenne.
Pourtant, rappelle The New Arab, la poudre de lait contenue dans la pâte est issue de pays européens, notamment la France. Mais la machine est lancée et les saisies se multiplient : jusqu’à 9,7 tonnes interceptées à Marseille en mai 2025, et 15.300 pots saisis.
Toutefois, l’interdiction ne freine pas les gourmands. Dans les quartiers populaires à forte présence algérienne, les ventes sous le manteau font loi, bien au-delà de la communauté algérienne.
Une interdiction fortement controversée
À Barbès, Montreuil, porte d’Aix ou Noailles, les commerces algériens bravent l’interdiction et proposent discrètement des pots d’El Mordjene, et les prix flambent.
Du prix initial de 5 €, la pâte à tartiner est vendue à 10 €, 15 €, atteignant parfois 25 € le pot et jusqu’à 80 € sur des sites comme Amazon. Un vrai marché parallèle qui se met en place.
@benoit_chevalier Je goute la pâte à tartiner El Mordjene ❤️
Pour beaucoup, l’interdiction de l’UE relève moins d’un souci sanitaire que d’une logique de « protectionnisme ». Amine Ouzlifi, représentant du fabricant CEBON, dénonce « une échappatoire » trouvée par l’UE pour bloquer un produit devenu trop populaire.
La pâte El Mordjene, lancée dans son succès, aurait pu faire de l’ombre à la concurrence : outre son goût exceptionnel, sa composition s’est révélée plus saine que celle des géants du secteur.
Des comparaisons sur l’appli Yuka révèlent, par exemple, qu’El Mordjene de CEBON contient moins de sucre et plus de noisettes que Nutella de Ferrero.
Et au-delà de ça, la communauté algérienne voit en ce produit un marqueur identitaire. L’écrivaine et journaliste Farah Keram décrypte : « El Mordjene est devenu un produit emblématique… C’est encourageant de voir des articles de notre pays – et plus largement de l’extérieur du monde occidental – gagner en visibilité ».
Selon elle, l’affaire El Mordjene illustre aussi « une politique de deux poids, deux mesures » dans les échanges entre l’Europe et le Maghreb.
De son côté, Rachida Lamri, fondatrice du festival DZ Fest à Londres, dont la 3ème édition se tiendra du 14 au 19 septembre 2025, y voit une forme de « résistance culturelle des Algériens ».
El Mordjene, toujours présente en France
Pour The Arab News, l’interdiction d’El Mordjene s’inscrit aussi dans le sillage des tensions persistantes entre Alger et Paris, où tout sujet enflamme les débats.
« Ils essaient de nous faire taire. Nous allons donc être plus loquaces à ce sujet. C’est une contribution à un effort collectif pour faire entrer l’Algérie dans le courant dominant », assure Rachida Lamri, persuadée que le produit algérien n’est pas près de disparaître.
Il faut dire qu’un an après son interdiction, El Mordjene est toujours disponible dans les « quartiers algériens de France » et ailleurs : au Royaume-Uni, au Canada, au Moyen-Orient.
Elle est même vendue à des prix plus raisonnables, et bien que le buzz se soit calmé, elle continue d’être populaire. Des chefs renommés tels que le Franco-Algérien Mohamed Cheikh l’incluant dans leurs recettes.
@mohamedcheikh_ Et voilà ! Moi aussi j’ai tester la pâte à tartiner Algérienne au petit déjeuner avec des Baghrir ! 🇩🇿❤️ 📸 @sadiksansvoltaire #dz Vous voulez mon avis ? 😉
On la retrouve même dans d’autres tendances qui n’ont rien d’algérien, comme avec le chocolat Dubaï, où l’ingrédient phare (pâte de pistache) est volontiers remplacé par la crème de noisettes El Mordjene.
Les influenceurs algériens ne sont pas en reste : des vidéos virales sur TikTok et Instagram placent la pâte à tartiner en vedette pour sublimer des recettes aussi traditionnelles que le baghrir (crêpe mille trous) et le msemen, ou des préparations plus occidentales comme la crêpe, l’éclair ou le cheesecake.